» Spirit - p r i v é

La brume légère, fantômatique, d'une blancheur de poudre flottait, retenue en suspension, à un mètre au-dessus de l'eau calme, parfois troublée par une vague moins plane que la précédente. Et tout cela dans un silence de plomb, l'un de ces silences qui donne froid dans le dos. Perçant ce petit nuage blanchâtre sans scrupule, la proue du bâteau continuait son chemin, poussée par un timide vent encore pâlot. L'embarcation, visiblement d'infortune, avait la coque fissurée, mais pourtant continuait de voguer, un tantinet hésitante. Lorsqu'enfin elle commença à glisser sur un lit de sable, elle ralentit avant d'enfin s'enfoncer, calée, et s'arrêter. Elle resta là un moment, bercée par l'arrivée d'une petite vague s'abattant sur la plage et cherchant à ramener la barque en arrière quand une silhouette se découpa, un homme se relevant, son regard lançant un coup d'oeil las autour de lui. On ne voyait que ça, ses yeux pâles semblant dénigrer les lieux sans véritable intérêt. Enfin, il se leva, passant une main sur sa ceinture où une dizaine de petits flacons étaient exposés, vérifiant qu'aucun d'entre eux ne s'était... échappé. Il vérifia un par un d'une main experte lesquels étaient remplis, lesquels étaient vides et enfin descendit.

Sa chaussure s'enfonça dans le sable fin et cuisant, un léger frisson le prit. Poussant un vague soupir, il se posa afin de l'enlever. Une fois pieds nus, il rassembla ses chaussures sur la barque et resta immobile, là, à observer l'océan sans nom. Il portait bien son nom. De là où il était, il ne voyait même plus le rivage. Cela ne faisait pourtant que peu de temps qu'il avait quitté la plage sans réelles convictions. Comme il était en marrée basse, cela avait facilité l'affaire. Son regard se posa enfin sur l'île, méfiant. Il ne savait pas ce qui l'attendait ici. Il savait juste qu'il lui fallait vérifier.

Paris Valentine n'était pas un homme très âgé. Il n'avait que dix-neuf ans. Une constitution visiblement fragile, il n'était pas bâti pour la chasse aux chimères, activité bien trop... dangereuse sûrement ou barbare pour lui. Non, sa traque à lui, c'était les fantômes. Il était un anteghost. Un anti-fantôme. Et au fond, cette activité n'était pas sa favorite. Non. Pas du tout. Elle lui rappelait sans cesse des souvenirs troublants et enfermés au plus profond de sa mémoire... des souvenirs bien trop douloureux pour être éveillés. Il fit la moue et enfin commença à faire quelques pas hasardeux sur cette plage.

L'île sans-nom était non seulement sans nom... mais également un véritable désert de sable. A chaque brise légère, une nuée de sable s'abattait sur lui. On ne voyait que ça jusqu'à l'horizon. Paris n'aimait pas trop ce terrain sur lequel il était désavantagé. D'instinct, il posa une main encore une fois sur sa ceinture afin de frôler de ses doigts fins une arme qu'il conservait en cas de problèmes. Il n'était pas sot. Partir désarmé aurait été la pire erreur. On n'était jamais trop prudent. Ce monde était empli de monstres, de créatures qu'il fallait apprendre... à tuer.

Le jeune homme commença donc ses recherches d'une simple avancée rapide, ses pieds laissant des traces visibles de son passage à chaque fois qu'il les levait, tour à tour. Une bourrasque de vent, encore une fois, le força à ralentir... et, sachant qu'il ne pourrait continuer dans ces conditions plus que désagréables, Paris pris l'écharpe blanche qu'il avait autour du cou et commença à le replier sur son nom, se créant un masque le protégeant des nuées de sable. Il plongea ses mains dans les poches, y apportant quelques grains de sable.

Ses pensées allaient vers les petits flacons contenus à sa ceinture. Il espérait intérieurement qu'ils tiendraient le coup et ne briseraient pas. Ces flacons valaient une fortune. Et les quelques fantômes gémissant à l'intérieur n'avaient pas été faciles à traquer. Il ne fallait pas se reposer sur ses lauriers ; dans ce métier, il y avait toujours quelque chose à dénicher. Métier, si on peut dire... Paris attendit que le vent cesse pour enfin reprendre la route. Pourtant, il se sentait déjà pris de malaise, comme s'il devinait une présence désagréable non loin. Il lui semblait presque entendre un bruit lointain...

Il se figea. Si ses pensées étaient bonnes, il était mal barré. Le jeune anteghost attendit donc, silencieux. Que pouvait-il faire d'autre ? De toute évidence, son salut ne dépendait que de ses actes, comme partout dans ce monde de dingues.

Ruyshin observait l'horizon, longue ligne bleue et paisible, l'inverse de son passé... Ruyshin venait en cet endroit pour trouver la quiétude du silence et du soleil. Les humains ne venaient que rarement en cet endroit. Pour eux il n'y avait en cet endroit désolation et mort... Pour Ruyshin, il y avait autre chose. Mais il se forca à l'oublier et en profita pour méditer. Soudain, le bruit des pas dans le sable d'un humain... Un humain... Oui... Une occasion de le venger... Son ancien ami... Celui qui avait donné sa vie pour le sauver... Son seul ami...
*Je vais enfin pouvoir te venger...*
Maintenant, Ruyshin se concentra sur les odeurs. En plus de celle de l'humain, il y en avait une autre... Pas de doutes, cet humain était un anteghost... Et un anteghost mort... A cet distance, l'impact du vent divin était suffisant pour provoquer une tempête de sable surpuissante. Ruyshin gonfla ses flancs... Et déchaîna la puissance du vent divin! Une détonation semblable aux tirs d'un millier de canons, caractéristique au vent divin, retentissa. Le vent propulsa le sable en l'air à plusieurs milliers de kilomètres de haut, créant un mur de sable qui avanca à une vitesse fulgurante. Dans quelques secondes, Ruyshin irait voir si sa victime avait survécue... Dans le cas contraire, réutiliser le vent divin serait étonnament facile. A cet instant, la victime devait commencer à entendre le grondement de la tempête de sable... Ce n'était plus qu'une question de secondes...

Paris comprit bien vite dans quelle situation il s'était mis. Il suffisait de sentir le vent s'intensifier pour comprendre, tout simplement. Il savait que sa simple protection nasale ne suffirait pas. Au loin, la ligne de l'horizon s'élevait à une vitesse folle, formant un mur. Un mur de sable. Une tempête de sable visiblement... mais sûrement pas naturelle. Il n'allait pas s'en sortir indemme. Il n'était pas un antechimera, il n'était pas armé pour faire face à une telle force... il lui fallait donc recourir à un moyen plus extrême, et vite. Sa main alla à sa ceinture où pendaient les flacons. Il en sortit un... et se rendit compte qu'il n'avait plus de vide... regardant par-dessus son épaule, il aperçut des débris de flacons se dispersant dans l'air...

Et merde... le vent est puissant...

Mais le temps n'était pas à de telles pensées, il fallait faire vite. Ce fut donc sans trop de remords qu'il arracha le bouchon d'un flacon empli, provocant un hurlement retentissant - celui d'un ghost sortant enfin de sa prison de verre - et, sans attendre, s'accroupit dans le sable - le vent était si fort qu'il ne voyait déjà plus - il apporta le flacon vide désormais à ses lèvres et se mit à respirer dedans en fermant les yeux, se concentrant...

Il faut que ça marche...

Mais le mur de sable continuait son avancée rapide, telle qu'il sentit ses nerfs mis à dure épreuve. De la sueur froide coulait désormais dans sa nuque, un frisson le prit, il ferma encore plus les yeux, si forts que des larmes perlèrent, sa respiration s'intensifia et sa concentration s'avisa... et un instant après, le sable l'avait englouti, balancé comme un vulgaire pantin. L'instant d'après, les lieux étaient vidés de vie. Il n'y avait qu'un désert de sable, un vulgaire désert...

Paris aurait pû s'éteindre ainsi, englouti sous une tonne de sable. Pourtant, une main apparut... suivie d'un corps... qui se hissa à l'extérieur. De là, il cracha tout le sable qu'il avait avalé, un flacon toujours dans sa main, à moitié fissuré... ce fut en regardant à sa ceinture que la rage l'envahit. Tous les autres flacons étaient restés là-dessous... il n'en pouvait plus. Mis sous trop de pression, face à une telle force, il savait que répéter l'opération serait impossible...

Il continua de recracher quelques grains - tous ses vêtements en étaient pleins également - et enfin leva un regard froid droit devant lui.

Je suis toujours vivant... t'es toujours pas venu à bout de moi... semblait-il dire tandis qu'il attendait presque patiemment la suite, cependant sentant que son corps, tel un vulgaire pantin, ne pourrait tenir trop longtemps.

Ruyshin cherchait son ennemi du regard. Voilà un dizaine de minutes qu'il volait à la recherche de sa proie. Elle ne devait pas être loin... De toute facon, Ruysin la repérerait sans problèmes grace à sa vision thermique. Un point jaune dans une étendue violette. Quoi de plus facile... Soudain, il l'apercut. La cible avait survécue. Mais à en juger par l'état de sa ceinture, Ruyshin avait réussi à la mettre en rage. Première bonne nouvelle pour la chimère... Mais la seconde serait la mort de cet imprudent...
"Tu es fichu, être terrestre! lanca Ruyshin depuis le ciel, un sourire de délectation extrême sur ses lèvres."
Il piqua sur le sol avant de redresser et de se poser violemment sur un rocher. Celui-ci éclata comme une bombe sous la pression de la masse de Ruyshin, projetant des lames de roches dans toutes les directions sans grande précision. Spectaculaire, l'assaut n'avait même pas touché sa cible... Il avait cependant touché Ruyshin qui poussa un cri de douleur lorsque une des pointes lui perca le poitrail. Ruyshin savait que sa technique qu'il avait baptisé lame de roc était risquée puisqu'il se blessait à chaque fois étant donné qu'il était à bout portant mais s'il avait touché l'humain... Déterminé, Ruyshin reprit son envol et lanca un vent divin vers sa cible... L'onde de choc progressa rapidement vers sa cible...

(dans ce cas, fuis mais tu prendras quand même un impact qui te fera peut-être un peu saigner du nez ou d'ailleurs (pas d'arrière pensées hein! XD) . )